La recherche scientifique comme sujet et stratégie de l’art.

Les corpus des artistes Patrick Coutu et Marina Gadonneix présentés au MAJ s’intéressent aux modèles scientifiques créés pour comprendre le monde et ses phénomènes naturels, réduits à une échelle compréhensible.

Dans l’exposition Phénomènes, Marina Gadonneix utilise la photographie (technologie inventée pour enregistrer le réel, et grâce à des avancées en chimie) pour documenter des modèles qui reproduisent en laboratoire des phénomènes naturels, souvent à potentiel catastrophique. On étudie ainsi, par exemple, les tornades, les feux de forêt et les aurores boréales.

Avec L’attraction du paysage, Patrick Coutu s’intéresse entre autres aux modèles mathématiques employés pour décrire des phénomènes physiques, à leur abstraction et à leur potentiel formel. À l’aide de programmes informatiques, il modifie les schémas mathématiques, puis il les traduit en sculptures ou en œuvres graphiques, auprès desquelles il effectue des interventions d’ordre plastique. Le résultat met de l’avant le côté organique de la science, les champs de force de notre environnement et leur rapport au construit naturel.

Pour radio atelier, nous avons pensé élargir notre thématique de la saison (la science et les arts) à la musique. Nous avons sélectionné 4 pistes musicales inspirantes en lien avec le sujet.

1. Philip Glass et Robert Wilson : opéra Einstein on the Beach, knee play 5

« Il m’arrive d’être certain que j’ai raison sans savoir pourquoi. (…) L’imagination est plus importante que le savoir. Le savoir est limité, tandis que l’imagination embrasse le monde entier, stimulant le progrès, engendrant l’évolution. Il s’agit à proprement parler d’un réel facteur dans la recherche scientifique. »
Albert Einstein, 1931

Cet extrait constitue le dernier entr’actes (intermezzo) de l’opéra Einstein on the Beach, par le metteur en scène Robert Wilson et le compositeur Philip Glass. L’opéra, qui a été monté pour la première fois en 1976 au Festival d’Avignon en France, fait plus de 4 heures et se compose de 4 actes, 9 scènes et 5 «knee plays». Ces «pièces genoux» ouvrent et ferment l’opéra, en plus de s’insérer entre les 4 actes pour en quelque sorte les articuler.

Basé sur la vie d’Einstein, l’opéra est une collaboration de Wilson et Glass. En accord avec l’approche formaliste de Wilson et le minimalisme de Glass, l’opéra non narratif fait le portrait de la figure historique d’Einstein. Les paroles des «knee plays» incarnent ces principes : le chœur entonne les chiffres de un à huit, tandis que des voix parlées au deuxième plan se superposent jusqu’à l’abstraction du langage. Un solo de violon, faisant allusion à la passion d’Einstein pour cet instrument tout au long de l’opéra, est par la suite accompagné d’une voix parlée racontant une histoire d’amour. L’œuvre fait allusion aux théories de la relativité et du tout. Sa structure musicale est cyclique et repousse constamment la résolution, représentant peut-être le principe même de la recherche scientifique.

2. Force électromagnétique

La force électromagnétique est l’une des quatre forces fondamentales de la nature avec la force gravitationnelle, le nucléaire faible et le nucléaire fort. Elle est le résultat de l’interaction entre un champ électrique et un champ magnétique, et elle est produite autant dans la nature que par des technologies humaines. Le spectre électromagnétique s’illustre en termes de fréquences : les basses fréquences (comme les ondes radio et les micro-ondes) ne peuvent passer à travers le corps; les hautes fréquences (comme les rayons ultraviolets et les rayons X) peuvent traverser le corps humain; et au centre du spectre se trouve la lumière visible. Le noyau terrestre, constitué de métaux en fusion, génère les champs magnétiques de la Terre. Les aurores boréales sont créées par la rencontre de vents solaires chargés électriquement et les champs magnétiques de la Terre.

Le thérémine, instrument énigmatique s’il en est un, est l’un des premiers instruments de musique électronique. Inventé par le physicien russe Lev Termen (Leon Theremin est son nom américanisé) au début des années 1920, il est composé d’une boîte électronique et de deux antennes : une verticale, pour contrôler la tonalité, et une en boucle, pour contrôle le volume. L’instrument émet un courant électromagnétique, qui est modulé par la distance entre le corps humain et les antennes. Le corps du joueur de thérémine, en tant que conducteur électrique, contrôle ainsi la fréquence des ondes émises : se rapprocher de l’antenne verticale augmente la hauteur de la note, tandis que se rapprocher de l’antenne en boucle baisse son volume.

Lors de son séjour au États-Unis, Theremin a enseigné son instrument à plusieurs musiciens, dont Clara Rockmore, considérée aujourd’hui comme virtuose. Voici son interprétation du mouvement Le Cygne, tiré du Carnaval des animaux de Camille Saint-Saëns (1886), initialement écrit pour violoncelle.

3. Musique des sphères

Penser au monde naturel, à ses manifestations mystérieuses et souvent encore inexpliquées, nous mène parfois à des considérations spirituelles : qui sommes-nous, d’où venons-nous, où allons-nous et… pourquoi le monde existe-t-il?

« L’harmonie des sphères ou Musique des Sphères est une théorie d’origine pythagoricienne, fondée sur l’idée que l’univers est régi par des rapports numériques harmonieux, et que les distances entre les planètes dans la représentation géocentrique de l’univers —  Lune, Mercure, Vénus, Soleil, Mars, Jupiter, Saturne, sphère des fixes — sont réparties selon des proportions musicales, les distances entre planètes correspondant à des intervalles musicaux. » Wikipedia.

Le compositeur néerlandais Joep Franssens (né en 1955) a composé Harmonie des Sphères de 1994 à 2001. Il s’agit d’un cycle musical en cinq mouvements pour chœur mixte et orchestre à cordes.

« La musique de Franssens relève du mouvement international de la « nouvelle spiritualité » en musique, dans la lignée du compositeur estonien Arvo Pärt . Parmi ses insirations figurent des écrivains et philosophes comme Fernando Pessoa ou Baruch Spinoza1. » Wikipedia

4. Musique acousmatique

Les acousmatiques étaient les disciples de Pythagore qui écoutaient ses leçons derrière un rideau dans le silence complet. Aujourd’hui, l’écoute acousmatique, c’est entendre un son sans en connaître la source. Dans le cas de la musique électroacoustique, ou acousmatique, le matériau premier du son n’est pas une onde ou un instrument, mais un enregistrement. Le compositeur enregistre, trouve, recompose, découpe et modifie des bandes magnétiques, et plus tard des fichiers numériques pour créer ses pièces. Cette technique de composition a été inventée par Pierre Schaffer dans les années 1940 en France. À l’époque, on parle de « musique concrète », car le compositeur entend d’emblée le résultat de sa composition, plutôt que de passer par la notation musicale, plus abstraite. Les concerts de musique acousmatiques ne sont pas interprétés par un orchestre, mais sont joués sur des hauts-parleurs placés dans l’espace de la scène et de la salle de spectacle pour créer un environnement sonore. Ainsi, non seulement ne reconnaît-on pas, la plupart du temps, la source du son, mais on ne la voit pas, même en concert. L’acousmonium désigne cet orchestre de hauts-parleurs.

Francis Dhomont est un compositeur français, figure importante de la musique électroacoustique en France et au Québec. Il a enseigné à l’Université de Montréal de 1980 à 1996. Nous vous proposons sa pièce Marine, tirée de la série … mourir un peu (1984-1987), qui vous portera peut-être jusque dans nos salles où vous pourrez apprécier deux œuvres de la série Marines (2010) de Patrick Coutu (des paysages créés par la rencontre d’un papier enduit d’une solution basique et d’un pigment rendu acide) ainsi que deux œuvres de Marina Gadonneix tirées de la série Untitled (Wave), photographiées dans un laboratoire d’étude du mouvement des eaux.